Conférence de M. Giuseppe Ciavarini-Azzi a été président du groupe inter services de la Commission Européenne " DOM TOM, Açores, Madère, Canaries, Ceuta & Melilla " de 1986 à 2001. Ce texte reproduit son allocution prononcée le 21 novembre 2002 lors du séminaire sur les régions ultrapériphériques organisé par l'agence française du programme européen jeunesse.
Nous notons ici la présence de Malte et des Baléares qui ne sont pas des RUP au niveau légal. Néanmoins, ces régions, du fait de leur insularité et de leur éloignement, partagent des problèmes communs avec les RUP. Le cas de Mayotte est un peu plus particulier, puisque l'île ne fait pas partie de l'Union Européenne tout en faisant partie de la France. C'est aujourd'hui un TOM qui est sur la voix de devenir une RUP.
Le mot ultra périphérie provient de l'article 299-2 du Traité de Rome, mais il n'y a fait son apparition qu'après le sommet d'Amsterdam de 1997. Cette expression était totalement dénuée de sens il y a quinze ans. Aujourd'hui le mot ultra périphérie recouvre une idée géographique, certes, mais aussi politique.
L'intervention se divise en trois parties :
Origine et évolution du phénomène " ultra périphérie "
La mise en place et les effets des POSEI
Les perspectives d'avenir
1. Origine et évolution du phénomène " ultra périphérie "
a. La création du groupe inter service
Pour une fois dans l'histoire, les DOM sont à l'origine de cette notion, et apparaissent comme les modèles, précurseurs d'un nouvelle manière de s'organiser. Dès 1986, le président français de la Commission européenne, Jacques Delors, constate le problème : il existe un véritable manque de cohérence entre le fait que les DOM soient mentionnés dans le Traité de Rome, sans que nous sachions clairement quels sont les aménagements possibles quant à leur situation particulière.
L'arrêt Hansen de la Cour de Justice des Communautés Européennes clarifie la situation en rendant possible des aménagements pour tenir compte des spécificités des DOM. Néanmoins, au delà de ce principe consacré par la CJCE, les négociations sur les adaptations régionales possibles dans les DOM se font par à coups. A chaque problème ou aménagement spécifique (par exemple les taxes sur le rhum), la France doit négocier au cas par cas avec la Commission. Cette gestion au jour le jour n'était plus possible.
En 1986 voit le jour un groupe inter service où tous les départements de la Commission sont représentés, chargé de coordonner l'application des politiques communautaires aux Départements d'Outre Mer. Suite à l'entrée de l'Espagne et du Portugal dans l'Union en 1986, le système est étendu aux Açores, Madère, Canaries, Ceuta et Melilla, puis enfin aux Territoires d'Outre Mer français.
b. La création du programme POSEI
En 1987, suite à l'organisation de " journées des DOM " pendant lesquelles les élus de l'Outre Mer s'expriment, est créée POSEIDOM dont l'objectif est de créer un cadre d'action permettant d'adapter les réactions communautaires aux réalités de l'Outre Mer. La stratégie de travailler d'abord avec les DOM tenait au fait que ces régions étaient directement citées dans le Traité de Rome.
Les DOM servent par la suite de modèles. Les Canaries entrent d'abord dans l'Union avec un statut spécial. Ces îles souhaitaient conserver une tradition de zone franche, ce qui l'avait poussée à rejeter certaines dispositions. Cependant, au vu de l'intérêt qu'avaient ses agriculteurs (tomate & banane) à profiter des avantages de la Politique Agricole Commune, les Canaries signent finalement l'acte d'adhésion sans restrictions. Le programme POSEICAN est alors créée sur le modèle de POSEIDOM. Les Açores et Madère entrent directement sans conditions particulières dans l'Union, est enfin créée POSEIMA.
Le cas de Ceuta et Melilla est particulier, puisque ces enclaves espagnoles situées au Maroc n'ont pas souhaité entrer dans le cadre des politiques communautaires. Ce sont encore aujourd'hui des zones franches, dont l'avenir dépend en grande partie des relations de l'Espagne avec le Maroc.
c. L'expression et la réalité " ultra périphérique "
Mais pourquoi donc l'expression " ultra périphérie " ? Le mot ultra recouvre le fait du grand éloignement au continent européen. Ces régions partagent ensuite des caractéristiques communes : un climat tropical, un relief souvent volcanique ou du moins montagneux, l'isolement, des caractéristiques économiques et agricoles particulières (monoculture).
D'autre part, ces régions jouissent déjà, dans leur Etat d'appartenance, d'un statut particulier, avec certaines différences. Madère, les Açores et les Canaries disposent d'une grande autonomie avec un Gouvernement et un Parlement, tandis que les DOM sont des départements français particuliers.
Toutes ces régions ont expressément fait le choix d'appartenir à l'Europe. En effet, le Parlement des Canaries décide de l'intégration dans la Communauté Européenne en décembre 1991. Les élus des DOM disent leur souhait de faire partie de l'UE, tout comme aujourd'hui les élus de Mayotte.
2. La mise en place et les effets des POSEI
a. Un bilan globalement positif
Les POSEI devaient contribuer au décollage économique de ces régions, alliant les fonds structurels aux programmes spéciaux. Pour ce faire, le système est piloté par trois institutions : les régions, les Etats (France, Portugal, Espagne), et la Commission. Au delà de ce partenariat tripartite, le processus de décision est commun à toutes les politiques communautaires : la Commission propose, puis le Conseil décide.
Concrètement, POSEIDOM est mis en place en 1989, contre 1991 pour POSEIMA et POSEICAM. Les fonds attribués ont régulièrement et fortement augmenté. Ils sont essentiellement orientés sur l'agriculture (tout particulièrement la banane pour la Guadeloupe, la Martinique, Madère et les Canaries) les infrastructures (ports, aéroports, routes). D'ailleurs, il faudrait peut-être aujourd'hui davantage aider les structures de ces économies qui sont les véritables forces productrices.
Des problèmes fiscaux se sont posés, car certaines mesures vont à l'encontre des règles éditées par les textes européens (exonérations fiscales particulières, équivalents de droits de douane avec l'octroi de mer pour les DOM…). Cependant la plupart des mesures ont été acceptées (l'octroi de mer est jusqu'à aujourd'hui maintenu) par la Commission. Dans les faits, la crainte de l'Europe qui existait dans certaines des RUP (craintes cristallisées dans les Antilles par une chanson populaire donnant à l'Europe le visage d'un loup) ne s'est pas avérée fondée. Tout au contraire, nous avons constaté une forte augmentation du PIB/habitant, alors même que la pression démographique des RUP était forte (tout particulièrement la Guadeloupe et la Guyane).
b. Des difficultés récentes
Depuis ces dernières années, des complications internes et externes noircissent le tableau. Au niveau interne, la Commission se révèle de plus en plus sévère en remettant par exemple en cause l'octroi de mer, l'élargissement est de nature à réduire considérablement le montant des aides futures, de même que la réforme de la PAC. Au niveau externe, l'aide de l'Europe aux pays en difficultés (notamment les pays dits ACP) est de nature à créer une concurrence difficile à contrer pour les RUP. Ainsi, l'aide au secteur de la pêche des pays d'Amérique du Sud a créée une véritable concurrence pour le secteur de la crevette guyanaise.
3. Perspectives d'avenir
a. Les secteurs d'avenir
Les 7 régions, 3 Etats et la Commission ont rédigé un programme de développement soutenable pour les RUP, dans lequel il est clairement énoncé que, d'une part, l'avenir des DOM ne peut être fondé sur le rhum et la banane, d'autre part, l'avenir des Canaries ne peut pas se fonder essentiellement sur le tourisme. A l'heure actuelle, le rhum des DOM est vendu en France peu cher grâce à des exonérations fiscales, qui ont été prorogées récemment pour 7 ans, les Canaries profite largement des aides aux approvisionnements lui permettant de diminuer les coûts de fonctionnement de ses structures touristiques, mais dans quelques années, les RUP devront se battre pour conserver de tels mécanismes.
Il faut donc innover au delà des productions traditionnelles. Les Nouvelles Technologies de l'Internet et de la Communication (NTIC), et la recherche (programme européen Care) me semblent constituer des secteurs à développer. L'île de la Palma, par exemple, jouit d'un formidable emplacement en ce qui concerne l'observation de l'espace, et a donc intérêt a encourager l'installation d'infrastructures et activités astronomiques. La Guyane bénéficie également d'importantes potentialités concernant la recherche, liées à la forêt et au site de lancement de satellites Ariane.
L'avenir des RUP doit tenir compte de trois axes :
_ Les productions traditionnelles
_ La diversification vers des activités innovantes
_ La coopération avec le bassin régional
Ce dernier point, qui n'a pas encore été évoqué, est capital. A titre d'exemple, en Guyane, les femmes du Surinam viennent accoucher à Saint-Laurent du Maroni, il semble donc logique d'engager des actions de formation en direction des habitants du Surinam pour éviter cette situation. Les programmes de coopération INTEREG peuvent aujourd'hui être étendus aux pays alentours (pays ACP).
Il faut désormais que l'Europe adopte une nouvelle attitude vis à vis des démarches vers les pays tiers en se posant à chaque fois la question suivante : quels sont les effets de ces nouveaux accords sur les RUP ?
N'oublions pas que les RUP ne sont pas les seules à gagner, l'Europe a la chance d'avoir des avant-postes géostratégiques, notamment pour la conquête économique. Il y a donc véritablement réciprocité entre l'Europe et les RUP.
b. Vers une identité ultra périphérique ?
Il y a dix ans, les martiniquais ne connaissaient pas les Canaries, maintenant se développe une appartenance à une même famille. C'est ce que l'on constate avec les conférences des présidents des RUP qui se tiennent deux fois par an. Récemment, un sociologue considérait que ces réunions n'étaient qu'un bricolage artificiel mêlant des personnes totalement différentes. Nous restons convaincus que l'ultra périphérie est une identité qui se construit jour après jour en un volontarisme de l'histoire.
Le président des Canaries soulève trois grands problèmes en ce qui concerne les RUP :
_ La diminution des fonds structurels avec l'élargissement
_ La réforme de la PAC en cours
_ La convention pour l'Europe (va-t-on modifier l'article 299.2 ? Va-t-il disparaître ?)
Le problème des fonds structurels est criant, tant les RUP sont proches du critère d'éligibilité des 75% de la moyenne européenne et le seront encore davantage après l'intégration des pays de l'Est pour le calcul de cette moyenne. Pour information, la Réunion est à 51% de la moyenne européenne, ainsi que la Guyane, les Açores à 53 %, la Guadeloupe à 55 %, la Martinique à 63 %, Madère à 72 %, les Canaries à 80 %, Malte à 100 %, et Mayotte à 30 %. Or, le fait d'être une RUP devrait automatiquement donner droit aux fonds de l'objectif 1. La négociation sur ce point interviendra en 2004, mais on peut vraisemblablement penser qu'en cas d'échec, un phasing out, ou une progressivité de la diminution des aides, sera mis en place. Enfin, les RUP, c'est aussi de la confiance, des sourires, de la bonne humeur, nous devons donc tout faire pour continuer sur cette voix avec autant de succès.