L’histoire de la Martinique est liée à celle de l’arc
caribéen, donc à la colonisation européenne et à l’esclavage pratiqué durant
deux siècles par les Espagnols, les Anglais, les Français et les Hollandais.
Néanmoins, la présence humaine aux Caraïbes est attestée bien avant l’arrivée
des Européens. Ainsi, des archéologues ont trouvé en Martinique des outils en
pierre dont l’ancienneté est estimée à plus de 3000 ans. En réalité, l'histoire
connue de l’île commence 1500 ans avant Christophe Colomb quand s'y installent
les Arawaks, provenant du continent américain.
1. Les amérindiens
Les premiers occupants connus sont les Arawaks venus
du Venezuela vers 300 ou 400 ans avant notre ère. En 295 avant notre ère, une
éruption de la montagne Pelée fait fuir les Arawaks qui quittent l’île pour n’y
revenir que vers l’an 400. Vers 1200 de notre ère, une nouvelle civilisation
amérindienne, provenant des côtes guyanaises, apparaît dans les Antilles : les
Caraïbes. Aussi appelés Kalinas, ces amérindiens sont, à l’opposé des Arawaks
dont la civilisation repose sur la culture du manioc, très agressifs. Ils sont
anthropophages et exterminent la quasi totalité du peuple Arawak à la notable
exception des femmes.
Lors de son quatrième voyage, Christophe Colomb
débarque en Martinique le 15 juin 1502 il se trouve face à face avec le redouté
peuple Caraïbe. Les Amérindiens appellent alors l’île Madinina (l'île
aux fleurs), Colomb la rebaptise du nom de Martinique en l’honneur de
Saint Martin. Craignant les Caraïbes, les Espagnols ne s’intéressèrent plus à
la Martinique, laissant la place aux Français et aux Anglais. Finalement, on
peut légitimement se demander si les Caraïbes de cette époque n’eurent pas une
vie bien meilleure que celle des Taïnos, peuple pacifique résidant notamment sur
l’île d’Haïti et soumis en esclavage.
On note ironiquement que les seules
communautés amérindiennes encore présentes dans la Caraïbe sont celles des
Caraïbes (en Dominique) qui ont donc finalement bien raison de résister à
l’implantation des blancs. Ces derniers jouissent d’ailleurs d’une certaine
aura dans l’inconscient collectif martiniquais. Ainsi persiste dans les esprits
le mythe, la légende ou le fait historique (à chacun sa version !) qui
voudrait que le dernier des Caraïbes de Martinique, refusant de se rendre à
l’envahisseur se soit jeté du haut d’un rocher appelé depuis lors le
« tombeau des Caraïbes ».
2. La traite des esclaves
Le cardinal de Richelieu, au nom du roi Louis XIII,
créé la Compagnie des Isles d’Amérique (1635-1650) afin de coloniser les îles
des Petites Caraïbes. La véritable conquête de la Martinique commence avec
l’arrivée d’un aventurier français, Pierre Belain d’Esnambuc, le 15 septembre
1635. En 1550, on pratique déjà la monoculture de la canne à sucre.
Les premiers contacts entre les Caraïbes et les
Français ne se révèlent pas au départ réellement agressifs. Devant la petitesse
des îles, et devant la diminution de leurs terres, les Caraïbes opposent une
forte résistance aux Français. Après plusieurs années de conflits, tant avec
les Anglais qu’avec les Caraïbes, les Français sous la gouverne de Beausoleil
finissent par chasser définitivement les Caraïbes de l’île. Les survivants se
réfugient dans les îles de la Dominique et de Saint-Vincent.
Les Espagnols sont les premiers à importer des
Africains dans leurs colonies afin de remplacer les populations amérindiennes,
décimées par les maladies et les conditions de travail accablantes. Les
populations noires d’Afrique sont sensées mieux supporter le travail forcé dans
un climat tropical jugé difficile (décidément, les perceptions
évoluent !). En Martinique, les Français débutent la traite négrière dès
1635 afin de fournir la main-d’œuvre nécessaire à la culture de la canne à sucre.
De 1656 à 1814, Anglais et Français occupent successivement la Martinique. Le
traité de Paris de 1814 marque le rattachement définitif de la Martinique à la
France.
En 1673 est
créée la Compagnie du Sénégal, qui a pour objectif de départ de déporter
les esclaves noirs vers la Caraïbe et à la Guyane françaises. La traite devient
alors une véritable industrie. Selon les estimations, plus de 700 000 esclaves
sont déportés vers la Martinique, la Guadeloupe et Saint-Domingue entre 1673 et
1789 (dont 600 000 pour la seule île de Saint-Domingue. En 1745, la Martinique
à elle seule compte environ 80 000 habitants dont 65 000 esclaves. Pour
comprendre comment 65 000 hommes peuvent se laisser asservir par 15 000 autres,
nous relirons avec beaucoup d’intérêt le Discours sur la Servitude
Volontaire de La Boetie. Il est également à noter que le fameux Code Noir,
qui aurait pu être, s’il avait été réellement respecté, une véritable
amélioration de la condition nègre, prépare déjà bien avant l’heure l’abolition
de l’esclavage. En effet, après le baptême obligatoire, l'Africain devient
officiellement un Nègre, perdant toute identité, à commencer par son nom, puis
est marqué au fer rouge. Asservir les esprits pour maintenir l’esclavage même
sans les chaînes, c’est peut-être là la vraie signification du Code Nègre et sa
justification.
3. L’abolition de l’esclavage
Victor Schoelcher, sous-secrétaire d'État à la Marine
chargé des colonies, est l’un des auteurs du décret d'abolition du 27 avril
1848, confirmé dans la Constitution du 4 novembre 1848. En Martinique, la date
officielle de l’abolition est pourtant le 22 mai. Pourquoi donc ? En fait,
avant même l’arrivée du décret officiel dans l’île (songez aux délais de
transport par bateau !), les esclaves se rebellent et exigent leur
libération immédiate. Devant l’ampleur du mouvement, et à la demande du conseil
municipal de Saint-Pierre, le général Rostoland, gouverneur de l’île, proclame
: « l'esclavage est aboli à partir de ce jour à la Martinique, et que le
maintien de l'ordre public est confié au bon esprit des anciens et des nouveaux
citoyens français ». Nous avons donc là trois dates potentielles pour
l’abolition de l’esclavage : le 27 avril pour le décret national, le 22
mai pour la rébellion noire et le 23 mai pour un « décret local »…A
vous de choisir la votre, pour la part des martiniquais, c’est déjà tout fait.
Bien que pour ma part, je me poserai certaines questions, car abolition ne
signifie pas égalité avec le peuple blanc, puisqu’au Code Noir succède le Code
de l'indigénat également appliqué dans d’autres colonies françaises (comme
l’Algérie), limitant fortement les droits des noirs. Donc je vote pour une
abolition non en 1848, mais en 1945…Donc qu’après on ne vienne pas nous dire
que l’esclavage « ça fait déjà 150 ans que c’est fini ».
Devenu député de la Martinique et de la Guadeloupe,
Victor Schoelcher souhaite même la départementalisation pour les quatre
« vieilles » colonies (Martinique, Guadeloupe, Guyane et Réunion).
L’Histoire lui donne finalement raison en 1945 (date de la départementalisation
de ces territoires), ce que ne manqueront d’ailleurs pas de faire remarquer les
partisans de cette évolution statutaire. Histoire de les embêter, nous
pourrions tout aussi bien leur rappeler que ce même Victor Schoelcher considère
dans ses écrits que les îles de la Caraïbe, si petites, et si semblables, ont
pour vocation d’être réunies dans un seul et même ensemble politique.
L’Histoire lui donnera-t-il raison là encore ?
4. Les nouveaux arrivants
La suppression de l'esclavage pose problème à des îles
dont l’économie de plantation repose sur l’exploitation gratuite du travail des
noirs. On cherche donc à les remplacer par d’autres. Ainsi, de 1853 à 1885, la
France importe plusieurs milliers de travailleurs immigrants (dénommés
«coolies») à partir comptoirs français de l’Inde. Considérés comme dociles, ces
«coolies» signent pour travailler aux Caraïbes pour une durée de cinq ans.
Certains restent sur place à la fin de leur contrat, fondent une famille et
deviennent des Martiniquais à part entière, tout en conservant leur religion et
leurs habitudes culinaires. 25 000 indiens (ou
« coolies » selon les termes des colons) sont introduits en Martinique entre 1848 et la fin du
XIXième siècle. Du fait d'une surmortalité importante (dûe aux maladies et aux mauvais traitements) et d'une demande de
rapatriements forte (contrairement à la Guadeloupe, la Martinique ne disposait déjà que de peu de terres disponibles à expiration des contrats, d'où une présence indienne plus marquée aujourd'hui en Guadeloupe), la communauté indienne diminue considérablement en quelques années.
Vers la fin du XIXième siècle, un millier de Chinois
débarquent également dans l'île ( vous pouvez lire à ce sujet l’excellent livre
de Jean-Luc Cardin L’immigration chinoise à la Martinique) puis des
immigrants provenant de la Syrie et du Liban. C’est ce qui explique la
diversité ethnique et culturelle des îles de la Caraïbe, creusets de rencontres
entre des peuples originaires de tous les continents. Au delà du cliché
n’oublions pas que ces « rencontres » et mélanges se font dans la
douleur. Ce qui expliquent encore pourquoi aujourd’hui, bien que cohabitant
dans une relative harmonie dénuée de véritables conflits, les différents
groupes ethniques de la Martinique n'en continuent pas moins de se méfier les
uns des autres et de jouer des rôles sociaux plus ou moins en accord avec leur
couleur de peau.
5. La condition noire
En 1898, on compte 175 000 habitants en
Martinique, dont 150 000 Noirs et mulâtres (85 %), 15 000 Indiens (8,5 %)
et 10 000 Blancs (5,7 %). Contrairement à ce que l'on pourrait penser,
la fin de l'esclavage en 1848, ne rime pas avec la fin de "l'importation" d'hommes
en Martinique. En effet, entre 1853 et 1885, plus de 29 000 noirs sont amenés d'Afrique
avec contrat et garantie de retour gratuit.
Les noirs demeurent toujours dans une situation
précaire. La IIIe République
marque cependant certaines avancées, avec le suffrage universel masculin
et les progrès concernant l’enseignement public obligatoire, laïc et gratuit
(1881). Il n’en demeure pas moins que les Blancs héritiers des esclavagistes,
dits Békés, conservent les terres et le pouvoir économique. Une nouvelle classe
semble naître : celle des mulâtres, qui, à la croisée des deux communautés
blanche et noire, dispose de davantage de privilèges que la seconde sans en
avoir autant que la première. Parmi ces privilèges figure en bonne place
l’accès à l’éducation, qui permet aux mulâtres de gravir les échelons sociaux
en accédant bien souvent d’abord aux professions libérales (médecins, avocats…)
pour également se trouver en bonne position dans les secteurs commerciaux. La
mentalité dominante est alors celle du « chapé la po » : c’est à
dire, pour les femmes, faire en sorte que sa progéniture soit la plus blanche
que possible afin de pouvoir sortir de la misère. Jusqu’à aujourd’hui, on peut
encore trouver des traces de cet état d’esprit.
6. L’éruption de la montagne Pelée
En 1902, suite à l’éruption de la montagne Pelée (le 8
mai précisément), qui détruit la ville de Saint-Pierre et cause la mort de plus
de 30 000 habitants en quelques heures, une importante vague d’émigration
s’ensuit, tout particulièrement vers la Guyane. Fort-de-France, déjà capitale
économique, devient la capitale politique de la Martinique après la destruction
de la ville de Saint-Pierre.
7. La départementalisation et ses conséquences
Le 19 mars 1946, l’Assemblée nationale française
adopte la loi dite d’assimilation, transformant la Réunion, la Guadeloupe, la
Martinique et la Guyane en départements français. Ainsi, la
Martinique devient un département d’outre-mer (DOM). Depuis la loi du 19 mars 1946,
la Martinique est dotée d’un Conseil régional et d’un Conseil général. La lutte
pour l’amélioration de la situation sociale se révèle à travers de nombreux
conflits (tout particulièrement en 1948, 1954 et 1956). En 1963, le
gouvernement français créé le BUMIDOM, le Bureau des migrations des
départements d'outre-mer, afin de soulager la région du fardeau démographique
et de l’accroissement du chômage : le départ annuel de 10 000 Antillais vers
l'Hexagone, afin d’occuper des fonctions subalternes dans la fonction publique
(Postes, Télécoms & hôpitaux notamment), constitue une solution au manque de
main d’œuvre en France pendant les Trente Glorieuses, mais n’amène rien de
positif à la Martinique.
Les années 70 sont le théâtre de la montée de revendications
indépendantistes nourries par le modèle révolutionnaire cubain, ces mouvements connaissent un
certain apaisement avec l’adoption de la loi de décentralisation du 2 mars
1982, qui fait de la Martinique l’une des 26 Régions françaises. Les élites
politiques martiniquaises reçoivent alors un surcroît de responsabilités dans
le développement économique de leur département, qui devient largement
subventionné à la fois par l'État français et par l'Union européenne.
Cependant, la transformation de l'économie et de la société martiniquaise, bien
que nécessaire en raison de l’effondrement de l’industrie sucrière, s’avére
difficile pour la population qui a dû se rendre à l’évidence : l'ancienne
économie basée sur une agriculture d'exportation (banane, rhum et canne à
sucre) n'a plus qu'un avenir fort limité en Martinique. Dorénavant,
l’industrialisation et tout particulièrement le tourisme apparaissent comme les
secteurs d’avenir. A ce sujet, l'appartenance à l'Europe pose certains problèmes, car une industrialisation n'est possible que si le marché local est protégé par des barrières douanières. Celles-ci existent encore aujourd'hui (dénommées "octroi de mer", ces protections apparaissent bien souvent comme insuffisantes) mais sont largement remises en cause par la Commission Européenne qui les considère comme une entrave à la liberté de circulation des biens dans le marché commun.
Aujourd’hui, les Martiniquais ont remis en cause la
solution de l’émigration vers la Métropole. Du côté de l’État français, le
recours systématique aux subventions a fini par devenir une forme d’assistanat
perpétuel dans un pays ou le chômage est endémique. Enfin, la problématique
identitaire martiniquaise n’a pas été résolue, puisque l’assimilation à la
culture européenne, surtout depuis l’intégration à l’Union européenne, se
révèle contraire la réalité géostratégique de la Martinique au sein des
Caraïbes. Par ailleurs, depuis plusieurs années, les Martiniquais s’impliquent
davantage dans la gestion de l'île et la nomination d’un «Métro» à un poste clé
ne va plus de soi. À ce sujet, les années quatre-vingt-dix sont marquées par
quelques mouvements sociaux dont la revendication principale porte sur
l'égalité entre Blancs et Noirs dans le monde professionnel.
8. De la logique assimilationniste à la logique
autonomiste
Suite au constat d’échec de la logique d’assimilation,
menant davantage à l’assistanat, à l’inefficience économique, et à l’oppression
culturelle non avouée, les acteurs politiques de l’île réorientent les débats
autour de la notion d’autonomie et de décentralisation. Cette prise de
conscience apparaît de plus en plus forte au vu des résultats croissants des
partis indépendantistes locaux. Le président du Conseil Régional est ainsi Alfred Marie-Jeanne, du Mouvement
Indépendantiste Martiniquais. Certains considèrent cependant qu'il est trop tard et que
l'indépendance aurait dû être décidée à la Libération en 1945. En effet, toute rupture brutale
semble aujourd'hui difficile, tant elle remettrait en cause les acquis sociaux. La tendance actuelle est plutôt à l'évolution vers un statut d'autonomie, permettant de prendre davantage en compte la culture et l'identité du pays (lire en ce sens Discours sur l'autonomie de Serge Letchimi). Beaucoup de martiniquais revendiquent en effet aujourd'hui leur différence, ce qui se reflète dans le débat autour de la langue créole, dont l'entrée dans le système scolaire se fait petit à petit.
Sources : manuel d'Histoire-Géographie Antilles-Guyane, juillet 2001, collectif, éditions Hatier International; Les DOM TOM, collection Repères, 1994, L'immigration chinoise à la Martinique, Jean-Luc Cardin, éditions L'Harmattan, 1990...