1. Problèmes communs à toutes les régions ultra périphériques
Les régions ultra périphériques de l’UE sont confrontées à de nouveaux défis et la conservation de leurs acquis dans l’UE nous apparaît aujourd’hui comme difficile.
a. Les réticences budgétaires de certains Etats européens
Il est apparu, au cours des négociations concernant l’attribution des fonds structurels pour la période 2000-2006, que la question budgétaire prenait une place croissante dans le dossier des régions ultra périphériques. Seuls trois Etats (la France, le Portugal et l’Espagne) sont en effet concernés. Les discussions ont ainsi fait apparaître des réticences de plus en plus marquées de certains pays membres, notamment du Royaume-Uni et de l'Allemagne qui ont fait part de leur désapprobation à l'encontre de l'augmentation de l'enveloppe budgétaire pour la période 2000-2006.
b. Le prochain élargissement de l’Union Européenne
Les perspectives d'élargissement de l'Union européenne conduiront certainement à modifier la politique communautaire à l'égard des régions ultrapériphériques. Un grand nombre de régions vont ainsi sortir de l'objectif 1 retenu pour l'attribution des fonds structurels, qui se fonde sur le critère d'un revenu moyen par habitant inférieur à 75 % de la moyenne communautaire. Il est ainsi probable que les Canaries ne relèveront plus de cet objectif dès 2006.
La crainte liée à l'élargissement est double : les régions ultrapériphériques craignent que les contraintes budgétaires n'incitent à revoir à la baisse les dispositifs actuels. Il est probable que la sortie des Canaries des régions relevant d'une politique communautaire spécifique isole encore davantage la France et le Portugal. Les capacités de négociation des pays concernés par les régions ultrapériphériques s'en trouveraient nettement affaiblies, les Canaries étant la seule rup espagnole (l'Etat espagnol n'aurait alors plus aucun intérêt à défendre la cause des rup). Les tentatives d'autres pays pour s'insérer dans cette logique de région ultrapériphérique ne paraissent pas pour autant pouvoir compenser cette perte : les îles de la mer Egée, pour lesquelles la Grèce a obtenu une extension des aides structurelles, au motif que ces îles périphériques connaissent un handicap du fait de la distance, ne subissent pas les mêmes contraintes et ne relèvent pas de la même problématique que les régions ultrapériphériques.(Voir la question du député Camille Darsières, portant sur l'élargissement, au Gouvernement en 2001)
c. ...D'où la difficultés de maintenir certains avantages
Dans ce contexte, les exceptions dont bénéficient les régions ultra périphériques semblent de plus en plus difficile à maintenir. C'est notamment le cas des exceptions douanières (octroi de mer dans les DOM), ainsi que du soutien aux produits agricoles comme la banane.
2. Problèmes spécifiques aux régions ultra périphériques de la Caraïbe
a. Problèmes & défis économiques
Industrie touristique en développement
Le tourisme apparaît comme le secteur économique d’avenir pour la Martinique. Pourtant, cette activité semble pâtir de problèmes majeurs causant d’ores et déjà une baisse de la fréquentation touristique de l’île. Ces problèmes sont notamment dus à une forte concurrence d’îles voisines, telles Cuba ou Saint Domingue, qui disposent d’une main d’œuvre à faible coût (Voir à ce sujet, l'interview d'Hector Elizabeth).
Intégration régionale faible
On constate une faible intégration de ces régions américaines (Martinique, Guadeloupe, Guyane) dans leur environnement économique. Le lancement de la coopération inter-îles semble freiné par l’impossibilité de prendre part aux associations et rassemblements caribéens existants, du fait de l’appartenance à la France. En effet, la place de la Martinique dans la Caraïbe se limite aujourd’hui à un statut d’observateur dans l’Association des Etats Caribéens (Pour davantage d'informations, lire ce rapport présenté au Sénat par la guadeloupéenne Lucette Michaux-Chevry).
Cet isolement accru de ces régions dans leur environnement régional coïncide avec un relatif affaiblissement des régions ultrapériphériques au sein de l’UE; la création de la Zone de libre échange des Amériques (ZLEA), qui compte 34 pays, qui inclut les 11 Antilles anglophones, Haïti et les deux anciennes colonies de Guyane, le Guyana et le Surinam, constitue pour les départements français d'Amérique un enjeu supplémentaire.
Problème de répartition des terres
Aucune réforme agraire visant à la répartition équitable des terres fertiles et/ou constructibles. Or, ces terres appartiennent toujours en grande partie aux descendants des colons esclavagistes, dits «békés», ce qui pose un problème de justice sociale.
Problème de l’émigration
Une forte émigration vers la France dite métropolitaine a longtemps été encouragée. Ce n’est plus tout à fait le cas aujourd’hui, et le mouvement vers l’Europe s’est considérablement ralenti. On peut tout de même noter une fuite des cerveaux, puisque de nombreux jeunes martiniquais ayant étudié en France ne reviennent pas sur leur île natale du fait du manque de débouchés.
La politique régionale de l’Union Européenne au secours de l’économie martiniquaise ?
Entre 1989 et 1999, la Martinique a bénéficié d’un soutien de l’Union Européenne d’un montant de 3 milliards de francs. Au titre du programme de l’objectif 1, la Martinique a principalement pu améliorer ses infrastructures, recevant des aides concernant : son système routier (37 millions de F pour la rocade), portuaire (45 millions de F pour l’augmentation des capacités du terminal à conteneurs du port de Fort-de-France), et aéroportuaire (220 millions de F pour la construction d’un nouvel aéroport). Des aides ont également été attribuées dans une moindre mesure à des améliorations touristiques (35 MF pour le front de mer de Saint-Pierre), à l’industrie, l’agriculture et la formation. Une part importante des aides n’a pas été utilisée, tandis que d’autres régions comme la Réunion, optimisent l’utilisation de cette manne financière. De plus, en dépit d’une incontestable amélioration des infrastructures de l’île, on ne constate pas la création d’un réel tissu solide d’entreprises. Les échanges avec l’extérieur sont lourdement déficitaires et l’économie de l’île, essentiellement axée sur la consommation, semble demeurer en perpétuelle « perfusion ».
b. Problèmes culturels
Problème des langues "régionales":
Qu’est-ce qu’une langue régionale ? Au sens de la Charte Européenne des langues régionales ou minoritaires, l'expression «langues régionales ou minoritaires», on entend les langues: pratiquées traditionnellement sur un territoire d'un Etat par des ressortissants de cet Etat qui constituent un groupe numériquement inférieur au reste de la population de l'Etat; et; différentes de la (des) langue(s) officielle(s) de cet Etat. Elle n'inclut ni les dialectes de la (des) langue(s) officielle(s) de l'Etat ni les langues des migrants.
Dans de nombreuses régions européennes, les instances régionales, disposant de pouvoirs importants, ont fait un maximum d'efforts pour promouvoir leur langue. Ainsi, dans l'archipel des Baléares, le catalan est la langue employée à l'école, la télévision, et par l'administration. A Malte (qui est un Etat indépendant), île de 400 000 habitants, trois fois plus petite que la Martinique, le maltais est, depuis l'indépendance (années 60), devenu la langue officielle du pays. D'un statut de langue orale parlée essentiellement par les couches sociales pauvres, le maltais est passé aujourd'hui à une utilisation courante, autant à l'oral qu'à l'écrit. Les jeunes maltais sont alphébétisés en maltais et suivent les cours en maltais jusqu'à l'équivalent du baccalauréat français. Les études supérieures se font en anglais. On note que toute la population maltaise parle également l'anglais, et bien souvent l'italien. Au départ refusée par les classes sociales riches, qui ne parlaient souvent que l'anglais ou l'italien, cette réappropriation de leur identité est aujourd'hui vécue comme un réel succès à Malte. D'autant plus que l'île est aujourd'hui prospère, grâce au tourisme et aux pavillons de complaisance (le niveau de vie est supérieur à celui de la France). Nous pouvons l'affirmer aujourd'hui haut et fort, on peut être prospère économiquement tout en conservant son identité (voilà qui clouera le bec à de nombreux pourfendeurs du créole).
Le cas du créole est traité dans une catégorie à part sur ce site(cliquez ici pour davantage d'information sur le créole).
Problèmes liés à l’identité :
L’identité, thème universel, est récurrent dans notre région. Il a fait l’objet de nombreux écrits et préoccupe encore tous ceux qui se sont un jour interrogé sur le devenir de la Martinique. Le problème est d’autant plus complexe que la Martinique est politiquement une région d’Europe, tout en étant géographiquement et culturellement en plein cœur de l’arc antillais à quelques miles des côtes américaines.
c. Problèmes politiques
Fort sentiment national :
A la suite de la départementalisation de 1946 et après un relatif constat d’échec, un courant nationaliste en régions ultra périphériques, en rupture avec les politiques assimilationnistes progresse dans le paysage politique et idéologique de l’île. Ce courant est aujourd’hui représenté dans les assemblées locales de l’île. La région et le département sont dirigés respectivement par les partis indépendantiste et autonomiste (plutôt à gauche). La différence entre ces deux mouvements fait encore débat aujourd’hui, néanmoins les deux courants parlent d’une voix en faveur d’un changement du statut institutionnel de l’île. La question du rapport à l’Union Européenne ne se pose quasiment pas chez les Martiniquais. Aucun mouvement politique, mouvement de jeunes ou autre ne se proclame aujourd’hui comme « européen ». Ce désintérêt se reflète dans des taux de participation aux élections du Parlement Européen encore plus faibles que ceux des élections parlementaires français, déjà ridiculement bas.
Problème de légitimité des représentants de l’Etat français:
Ce problème est reflété par un faible intérêt de la population pour les élections nationales (aux dernières élections legislatives de juin 2002, le taux d’abstention s’élève à environ 64%). D’autres problèmes importants se posent. En effet, le préfet ose rarement intervenir lors de crises importantes (blocage du port de l’île de la Martinique en 2000 par exemple) par peur de réactions fortes de la population. Une évolution semble indispensable pour éviter ce genre de situations. L'Espagne ou le Portugal ne disposent pas de l'équivalent du Ministère de l'Outre Mer français, qui apparaît comme un relent de réflexes coloniaux. De plus, les régions comme les Canaries, les Açores, les Baléares sont dotées d'un pouvoir exécutif, ainsi que d'un pouvoir législatif fort (en bref, un Gouvernement et un Parlement). Une forte décentralisation semble permettre de limiter ce problème, mais est-elle suffisante ? Responsabiliser le peuple martiniquais, n'est-ce pas aussi lui donner les clés de son destin ?
Problème d'une trop forte centralisation française
Les Canaries ont le statut de Communauté Autonome espagnole dotée d'un
Gouvernement et d'un Parlement. La Communauté Canarienne dispose de sept "Cabildos" ou Conseils (un pour chacune des îles). Madère et les Açores sont les deux seules Régions Autonomes du Portugal. Elles sont
des personnes morales de droit public dotées de pouvoirs législatifs et exécutifs propres. Les quatre rup françaises sont de simples collectivités locales (à la fois départements et des régions d'outremer), dotées d'un Conseil général et d'un Conseil régional. Les lois de décentralisation françaises leur ont conféré des
compétences nouvelles plus étendues que celles des autres régions françaises. Celles-ci demeurent malgré tout incomparables avec celles des régions ultra périphériques espagnoles et portugaises. Il semble que le statut des DOM soit en pleine évolution, notamment depuis l'adoption de la Loi
d'orientation pour l'Outremer (LOOM) le 13 décembre 2000). Des possibilités d'évolution différenciée pour chaque département sont prévues, ainsi que d'éventuels transferts de compétences. Il est désormais possible à un DOM de devenir TOM par simple référendum. Cela pose cependant problème, étant donné que les TOM français actuels ne font pas partie de l'Union Européenne, mais jouissent d'un simple statut d'association. L'accession au statut de TOM apparaît, pour les Antilles françaises, comme la pire des solutions, puisqu'elle signifie la perte de la grande majorité des aides, sans véritable garantie de réelle autonomie vis à vis de la France.
Toute évolution du statut même de DOM peut poser problème, étant donné que la Martinique, la Guadeloupe, la Réunion et la Guyane ne sont pas nommément sitées dans le Traité de Rome (seul le vocable Département d'Outre Mer est utilisé), à la différence des Canaries et des Açores, sitées par leur nom. Un changement de statut pourrait poser problème et amener les DOM à quitter l'Union Européenne (voir la réponse de Giuseppe Ciavarini-Azzi à ce sujet). Il semble malgré tout qu'avec une concertation au niveau européen sur ce sujet, ce écueil puisse être évité.
Sources : de façon générale, les informations sur l'Union Européenne proviennent du centre de ressources sur l'Union Européenne "Sources d'Europe", situé à La Défense; Magazine Europe Locale en date du mois d'avril 2002; rapport du député Camille Darsières sur la proposition de résolution 3035, question du député Camille Darsières au Parlement publiée au Journal Officiel le 03/12/2001...